Louise Des Rosiers | Quand le papy-boom explique le prix des logements et les recompositions territoriales

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Cet article est publié en partenariat avec la Revue d’Économie Régionale et Urbaine.


La plupart des Français souhaite devenir propriétaires. De manière classique, lors de sa vie active, un individu va acheter (ou tenter de le faire) sa résidence principale. À sa retraite, il n’est donc plus acheteur et à son décès, il devient vendeur par l’intermédiaire de ses héritiers.

L’envolée actuelle : une conséquence du papy-boom

Le fameux ratio retraités/actifs est donc étroitement lié au rapport offre/demande pour les logements, et par conséquent aux prix. Dans le cas de la France, si l’on prend en compte la dimension démographique dans l’explication de la dynamique du prix des logements, il a été montré que les variables habituellement invoquées (taux d’intérêt, revenus, construction neuve, taux de divorce) avaient un rôle secondaire voire nul devant les facteurs démographiques (population totale, ratio retraités/actifs).

Cette perspective permet en particulier d’expliquer très simplement le doublement, voire le triplement, des prix des logements entre 1997 et 2007. Il s’agit en effet précisément de la période où tous les baby-boomers, c’est-à-dire les personnes nées avant 1970, appartiennent à la population active et sont donc acheteurs de logement.

Cette envolée des prix n’est ainsi que la simple conséquence d’un phénomène de demande, dû à des classes d’âge très nombreuses. Il s’ensuit un accroissement (un accaparement ?) marqué de la propriété immobilière au bénéfice des retraités.

Géographie du papy-boom versus géographie de la baisse des prix annoncée

Mais qu’en est-il de la dynamique spatiale de ce phénomène ? Les deux facteurs d’ordre démographique qui déterminent les prix des logements (population totale, retraités/actifs) sont en fait fortement hétérogènes aux niveaux locaux et régionaux. Si au niveau national le vieillissement de la population engendre une lente érosion du prix moyen du fait de l’inévitable augmentation des décès, et donc du volume de biens vendus sur le marché, cette évolution se réalise cependant de manière très inégale sur l’ensemble des territoires locaux.

On peut ainsi distinguer trois types de départements (cf. Figure ci-dessous). Certains voient leur parc immobilier se déprécier progressivement, dans des proportions moyennes, du fait d’un vieillissement assez fort que l’accroissement modeste de leur population ne réussit pas à compenser. Ces départements payent la facture du papy-boom d’une manière assez standard (en gris sur la carte).

Mais on peut aussi identifier des départements très vieillissants et en perte de population où les prix des logements s’effondrent ; ceux-ci surpayent la facture du papy-boom (en blanc sur la carte).

Enfin, d’autres pour lesquels le vieillissement est faible et l’accroissement de la population fort ; ici les prix immobiliers sont appelés à croître (en noir sur la carte). Ces derniers sont les grands gagnants de l’inévitable réorganisation spatiale de la valeur qui se joue à l’occasion de ce papy-boom.


Évolution des prix immobiliers sur la base des variables démographiques

En noir : Faible vieillissement, gain de population, hausse des prix = Les gagnants du papy-boom.

En gris : Vieillissement moyen ou fort, accroissement modeste de la population, érosion des prix = Facture moyenne du papy-boom.

En blanc : Fort vieillissement, baisse de la population, chute des prix = Surpaiement de la facture du papy-boom.


Comme pour beaucoup de grandes entreprises qui ont profité du départ à la retraite des premiers baby-boomers pour se transformer, les territoires vivent aujourd’hui une profonde réorganisation de leur richesse. Rappelons que le parc des logements français vaut à peu près 6 300 milliards d’euros, et qu’il a enregistré au cours des 20 dernières années une plus-value de 3 700 milliards d’euros, soit deux fois la dette de l’État…

Des dynamiques du marché immobilier qui profitent aux métropoles

Ces circulations invisibles des destructions et des créations de valeur, imputables aux dynamiques de vieillissement inégales des territoires et à leurs impacts sur les marchés immobiliers résidentiels, profitent avant tout aux métropoles qui voient leur parc s’apprécier fortement. C’est le cas de Bordeaux qui est devenu récemment la métropole la plus chère de France, derrière Paris.

Le statut de métropole est aujourd’hui une assurance contre la perte de richesse immobilière. Certains départements n’hébergeant pas de métropoles tirent tout de même leur épingle du jeu. Il s’agit des départements proches d’une métropole, de ceux situés sur un littoral ou possédant une frontière, de ceux qui bénéficient d’une activité touristique notable ou encore d’un tissu PME/PMI dense de type Marshallien.

Mais il est alors très important de souligner que pour appartenir à ce groupe des gagnants du papy-boom, ne présenter qu’une seule de ces caractéristiques ne saurait suffire ; deux, voire trois sont nécessaires. Les autres départements paient, ou surpaient, les effets du papy-boom et sont soumis à une circulation invisible des destructions de richesse.

Du point de vue socio-économique le degré de gentrification départementale correspond étroitement à cette dynamique. En d’autres termes, les habitants des départements gentrifiés voient leur richesse immobilière s’accroître, tandis que les départements avec beaucoup d’ouvriers et d’employés voient leur patrimoine se déprécier. Le nombre total d’habitants est aussi un bon prédicteur, les départements peu peuplés ayant tendance à surpayer, même s’il existe des exceptions (Tarn-et-Garonne, Hautes-Alpes).

Ce qui est par contre beaucoup plus étonnant est que la géographie du chômage ne recoupe pas du tout celle de ce remodelage de la richesse. Donner une trop grande place à cet indicateur pour orienter les politiques d’aménagement du territoire revient ainsi à ignorer une bonne part de ce phénomène.

La gentrification comme conséquence directe du papy-boom

Cette gentrification est assez simple à expliquer. Les futurs papy-boomers, du seul fait de leur nombre, ont fortement fait monter les prix au cours des années 1990-2000. Lorsqu’ils revendent aux classes d’âge qui les suivent (revente directe ou indirecte via leurs héritiers), les seules à pouvoir assumer de tels prix sont les classes moyennes et supérieures. Cette situation de prix élevés ne pouvant qu’accentuer la sélection sociale par la localisation, la gentrification apparaît alors comme une conséquence directe du papy-boom. Elle doit donc être pensée comme une tendance puissante et de long-terme, puisque déterminée par des caractéristiques démographiques.

La modification de la circulation de la richesse entre les générations du fait du papy-boom est aussi une modification spatiale qui a des conséquences pour les territoires locaux, certains bénéficiant de créations de valeur, d’autres subissant des destructions de valeur. Si des mécanismes de redistribution spontanée existent, ils ne sauraient cependant suffire. Dans certains départements, des maisons de 120m2 ne parviennent ainsi pas à se vendre pour… 40 000 euros.


Takáts, E. (2012). « Aging and Housing Prices », Journal of Housing Economics 21, 131–141.
Essafi, Y. & Simon, A. (2017). « Concurrence générationnelle et prix immobiliers », Revue d’Économie Régionale & Urbaine, (1), 109-140.
Essafi, Y., Languillon-Aussel, R., Simon, A., (2018). « The Relation between Aging and Housing Prices : A Key Indicator for the French Spatial Wealth Reshaping ».

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Louise Desrosiers

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